mercredi 25 novembre 2020

Voter. Ou pas.




 Mes chers amis, que vous votiez, ou pas, je respecte votre choix. Le prosélytisme ou l'intox ou le désir d'éduquer aux droits civiques, ou le rappel à des mémoires sanglantes, ne sont pas le sujet ici. Mais si là, aujourd'hui, vous vous dites que peut-être, si vous vous étiez inscrits sur les listes électorales, vous y seriez allés, parce que quand même... Quand même ! Si vous réalisez que c'est génial D'AVOIR LE CHOIX, le choix d'y aller ou pas, jusqu'au dernier moment, alors demain, allez dans votre mairie, inscrivez-vous. Avoir le choix, c'est être libre. Les femmes, les hommes, les peuples libres sont ceux qui ont (encore) le choix. C'est fragile ! Le libre-arbitre, camarades, c'est notre bien le plus précieux.

                                                                                              7 mai 2017, Verneuil-sur-Avre.

mardi 24 novembre 2020

Anne

 



Anne


Cette dame élégante, qui tenait à distance les uns, en les glaçant un peu, et qui charmait les autres, par son mystère et sa grâce. Qui se gardait des affects et des effusions. Qui craignait, plus que tout, l’impromptu, les propos spontanés, les emportements soudains… Cette dame était notre mère.

Elle avait choisi, elle avait osé les contraires : en rencontrant Dominique, Anne Gaiffe, aux racines nancéennes, picardes, parisiennes, béthunoises, allait se colleter avec la latinité et la dinguerie de la famille Massa.

Fille puînée d’une fratrie de quatre, elle avait reçu une éducation stricte. Un grand-père général, des grands cousins qu’elle évoquait souvent, l’un pionnier de l’aviation, l’autre résistant, déporté, héroïque. Elle, et ses frères et sœur, Jean, François, Hélène, avaient eu pour père (Pierre Gaiffe) un homme strict, ferme, peu enclin aux débordements. Marguerite, leur maman, tendre et souriante, se dévouait beaucoup. A son décès précoce, Béthune porta longtemps le deuil de cette dame généreuse et sensible. Anne connut l’exode en 1940, puis l’occupation de sa maison par les Allemands, et les épreuves du « bachot » sous les bombes des Alliés. Elle fit des études de Sciences Naturelles à la Catho de Lille.

En 1947, dans les Alpes, elle croisa Dominique, chef scout, fumeur de pipe, géologue, et meneur d’une chorale qui réunissait, le temps d’une journée, des guides venues du Nord à des scouts parisiens et facétieux. Avec Jean-Georges Pointel ils se souviendraient à jamais de la Grande Casse, et de Tignes… Mais Dominique allait bientôt quitter la France, pour une première mission en Turquie ; puis pour une autre très longue mission d’exploration au Gabon.

Ces années-là, Anne travailla aux côtés de Marie-Thérèse Cheroutre, au sein de l’Equipe Nationale des Guides de France. Et elle repoussa, l’un après l’autre, les jeunes gens qui lui étaient présentés. La mélancolie s’emparait d’elle peu à peu, elle pensait à ce chef de choeur, spécialiste des «secondes voix», ingénieur géologue, virtuose du chant tyrolien… Alors sa petite sœur décida de forcer le destin, elle entama les recherches, il fallait retrouver Dominique. Il fut localisé : il travaillait en Turquie. Ainsi commença la longue correspondance entre Anne et Dominique. Et notre mère, femme minérale, conquit le cœur d’un géologue ; c’était écrit, ce serait limpide, comme un quartz pur dans l’eau de roche.

En 1954, Anne et Dominique Massa, unis devant Dieu, embarquèrent pour Alger la Blanche et pour une conjugalité au long cours. C’est là qu’ils nouèrent des amitiés précieuses, Lydie Cottençon, les petites Sœurs de Jésus de Touggourt. Plus tard, Francine et Bernard Duval, et les Arnould…

C’est à Alger que naquit Edith. Un bref passage à Paris, Elisabeth. La Libye, Tripoli, Frédérick. Le retour en France, Paris, Saint Cloud, Suresnes, Véronique, Bénédicte.

Toutes ces années, Anne fit face. Avec sa vaillance, appuyée sur les valeurs de la Loi Scoute. Dominique partait souvent. Il partait loin. Maman affronta  les  temps troublés en Algérie, les évènements de Suez, les soulèvements en Libye… Dans la difficulté, il fallait tenir, et se tenir, quoiqu’il en coûte.

Les saisons défilèrent ; il y avait les étés à Lardières, avec Mamie et les petits Gille ; et les étés rue de France, à Nice ; il y avait les hivers et les départs pour Saint François, chaîner la 403, rouler sur la neige, dans le blizzard, pour nous conduire, seule, sans encombres, jusqu’au pied du Montjoie. Et le lendemain, glisser avec prudence, sur des pistes bleues, effrayée par tes enfants qui te frôlent en riant, un peu narquois, et qui  filent vers la Noire du Grand Schuss, sur laquelle jamais tu ne te risquas, ma chère Maman !

 Puis il y eut Odile, la belle-fille de ton cœur, et les gendres, Jean-Marc, Loïc, Bernard, Etienne, et à Saint Pancrace, les tablées et les baignades bruyantes, les Marciani, les cousins Crouzatier, les Viguier, les Granon, les Gille, les Charlier, les Godon, Jean-Michel, Françoise et les petites Massa de Rennes, Andrée et François, Monique, Hélène, Gabriel…

Et, dans l’ordre de leur apparition sur la terre, tous tes petits enfants : Baptiste, Arnaud, Arthur, Thibault, Charles, Nicolas, Daphné, Ulysse-Jean, Hubert, Xavier, Benoît, Elsie, Jean-Romans, Olivier. Et les trois arrière-petites mignonnes de Clara et Baptiste : Louise et Suzanne et Rosalie…

Entre deux voyages, Maman contribuait à mettre en forme la thèse de géologie de Dominique ; entre deux voyages, ils avaient ouvert, des années auparavant, leur maison et leur cœur aux tout jeunes Pierre et Michèle et, des décennies plus tard, ce fut Aude, qui habita aussi Suresnes… Aude, qui fut raccrochée in petto à la fratrie Massa. Merci Maman, pour tout cela, merci !

En 2010, ton cher géologue s’éteignit. Alors commença pour toi un temps du manque et de l’absence. A Garches, dans ton appartement, tu découvrais la solitude. Tu relisais les lettres que vous aviez échangées pendant plus de cinquante ans. Au fil des semaines, le vide était douloureux mais tu créas de nouveaux liens et tu rencontras le soutien et la bienveillance attentive d’Hélène Milet, devenue une amie sûre, et ta confidente.

Ta réserve m’aura laissée longtemps pensive, Maman. Mais je voyais combien tu t’inquiétais pour les tiens et comment tu faisais face. J’ai compris que tu obéissais à cette injonction qui te soutenait encore à Verneuil, de la canne au déambulateur, puis du fauteuil roulant à ton lit. D’un monde où tu régnais, en majesté, en beauté, où la maisonnée tenait sur tes épaules, où Dominique et toi, et la tribu Massa, aimantaient les amis, où tu étais au centre. De ce monde-là, où tu étais valide, au tout petit monde de l’EHPAD, où certains résidents t’appelaient « la star », où tu devins surtout cette dame émouvante, désarmée, dont le visage s’éclairait aux côtés de ses nouveaux compagnons de vie. A La Vernoline, Maman se lia aux personnes qui prenaient soin d’elle et la serraient dans leurs bras ; elle échangeait des sourires avec les autres résidents. Elle s’adapta aux rituels simples d’une vie communautaire où certes vous aviez perdu l’autonomie, mais où la fraternité émergeait joliment. Et les attentions d’Hélène Gaudriot et son talent pour les écrire, et les cartes des quatre coins de France et du monde, postées par tes petits-enfants, et Monsieur Leroy, Jeannot, Germaine, Madame Morvan, Huguette, Madame Diot, Monsieur Hiis, Alfred, la grand-mère de Sabine, Madame Bellot, Madame Lespiau…

Au crépuscule de ta vie, moi qui t’avais tant agacée, à parler encore et encore, et trop…, tu me laissas sans voix ; je restai muette, et admirative, car là, à Verneuil, comme tout au long de ta longue vie, tu continuais d’appliquer à la lettre ton exigeante injonction, peut-être contestable, mais qu’à t’entendre si souvent dire, chacun des tiens avait faite sienne :

« PRENDS SUR TOI, il faut prendre sur soi ! »

Merci Maman, pour tout, merci.

                                                                                                                                 Verneuil, le 20 avril 2019.